C’est un jeu absolument unique que nous révèlent les enregistrements qui nous sont parvenus de ce musicien hors du commun. À un socle partagé avec d’autres violoneux corréziens s’est ajoutée une technique impressionnante, principalement autodidacte, liée à sa pratique du répertoire musette et mise ensuite au service des airs à danser traditionnels.
Ce qui marque à la première écoute, c’est un son ardent, un appui d’archet particulièrement efficace bien que la tenue que nous montrent les photos soit souvent très peu académique.
Ce qu’on entend ensuite, c’est une profusion d’ornements qui participent au son global et indiquent une main gauche à la fois puissante et souple. Bernard Meilhac avait fait entendre des enregistrements de son père à un professeur de violon classique auprès de qui il avait pris lui-même quelques leçons, adulte, et pour ce dernier il n’y avait pas de doute : cette ornementation foisonnante prouvait clairement que le répertoire limousin était d’origine arabe ! Bernard, plein de respect pour ce professeur, tenait cette hypothèse pour plausible lorsqu’il m’en avait fait part. Mais, en réalité, on ne peut qu’être frappé par les similitudes entre le jeu de Michel Meilhac et celui d’accordéonistes tels que Momboisse ou Cayla : ornements, mais aussi rappels à la dominante grave qu’on nomme souvent « picotages » et que Bernard Meilhac appelait, lui, « pistonnades », et changements d’octaves en cours de mélodie. Si ces éléments stylistiques se sont affirmés à l’écoute et la fréquentation d’accordéonistes avec, en premier lieu, Henri Momboisse, nul doute qu’ils ne lui aient été, en partie au moins, transmis au violon par son oncle Henri. On pourrait difficilement imaginer la « Bourrée sur les 4 cordes » sans les rappels de la 2e partie. Et, en amont des jeux au violon et à l’accordéon, il y a bien évidemment celui des cabrettaires auvergnats qui, à Paris, ont été à l’origine du style musette.
Contribue aussi au son de Michel Meilhac, reconnaissable entre tous, un vibrato rapide parfois difficile à différencier de trilles très rapprochés de la note qu’ils enrichissent. Bernard Meilhac m’avait fait remarquer que son père, pour les trilles sur les cordes à vide, reculait fortement son premier doigt.
Quant à la modification d’accordage du violon de sol-ré-la-mi vers la-mi-la-mi, pour faciliter les changements d’octaves en cours de jeu, c’est une invention de Meilhac lui-même qu’il met en place, semble-t-il, en 1959, à l’époque des premiers enregistrements de Robert Dagnas (Dossier C01). Elle ne peut fonctionner que pour des airs dont l’ambitus ne dépasse pas l’octave ou la neuvième. Le répertoire traditionnel local est en effet presque toujours joué avec des doigtés de sol ou ré s’appuyant sur les cordes à vide qui servent de bourdons.
Pour jouer du musette, Michel Meilhac a cependant dû travailler d’autres tonalités, et les démanchés. Et il a ensuite quelquefois gardé l’usage de ces démanchés pour des airs à danser traditionnels. Une écoute un peu attentive permet de remarquer, ainsi, que les ornements qu’il utilise pour la 1e partie de la Varsovienne (Dossiers C01 ou C03) sont les mêmes que ceux de la 2e partie. Pour que ce soit possible il alterne donc des passages en 1e et en 3e positions.
Il n’est pas toujours facile de distinguer ce qui était clairement voulu par Michel Meilhac, tels les trilles « bas » qui viennent d’être évoqués, et sans doute également les frisements à la quinte supérieure – si surprenants dans ses versions des « Triolets » et de « Retour de Liège » (Dossier A06) –, qui contribuent eux aussi au son, de ce qui faisait partie de systèmes musicaux dont on ne sait pas à quel point il était conscient. Comme chez la plupart des violoneux corréziens son 2e doigt est mobile sur la corde inférieure, se rapprochant souvent plus de la sous-tonique que de la sensible. Il l’est parfois aussi, mais bien plus rarement, sur la corde supérieure, faisant tendre la quarte juste vers une quarte augmentée. À de très rares reprises, lorsqu’il joue, par exemple, « E quand las peras son maduras » (Dossier E02) ou « Pichon pomier de ròsa » (Dossier C02) ou sa « Marche de conscrits », (Dossier C02) c’est le 1er doigt qui est mobile, rappelant les couleurs modales de l’Artense voisine, et là c’est un effet qui ne peut absolument pas être fortuit, induisant un basculement net du majeur au mineur. Mais que penser des octaves parfois un peu surprenantes pour une oreille occidentale actuelle, le 3e doigt se plaçant particulièrement haut sur le manche ? Volonté d’effet de brillance ou non ?
On remarque aussi l’accord (ré - fa#) avec lequel se terminent un grand nombre de bourrées : la tierce n’est jamais franchement majeure. Elle tend vers une tierce « naturelle », étrangère au jeu du violon classique. On remarque par ailleurs que dans le chant, la septième peut être mobile et la tierce basse, comme dans « La Chamejada » (Dossier D). Et lorsque Michel Meilhac chante en jouant, il n’a pas forcément la même septième à la voix et au violon. On peut le constater, entre autres, dans « Le soldat de 28 ans » (Dossier D).
Quoi qu’il en soit, son univers n’est pas harmonique. C’est à l’unisson ou à l’octave qu’il joue avec son frère René à la vielle ou son fils Bernard au violon. Les seuls contrechants qui apparaissent dans les enregistrements dont nous disposons sont dus au vielleux bourbonnais Gaston Rivière sur le 45 tours Philips (Dossier B).
Le jeu de Michel Meilhac n'a pas toujours, dans les bourrées, la dynamique irrésistible de certains des violoneux des Monédières et ses frappements de pieds sont parfois un peu irréguliers. Il n’en demeure pas moins que, à l’instar des meilleurs d’entre eux, et peut-être encore plus qu’eux, il varie sans cesse le rythme interne des mesures, en allongeant certaines notes et raccourcissant les suivantes, et ceci avec tant de souplesse que les mélodies en sont métamorphosées. On pourra comparer, par exemple, ses versions solistes de la scottish-valse « Derrière chez nous » (Dossiers A05a, A07a et C01) avec le squelette rythmique que nous présente l’interprétation collective du 45 tours Philips (Dossier Bb).
Les enregistrements dont nous disposons étant pour la plupart des copies, ou des copies de copies, nous n’en connaissons pas précisément les tempos et diapasons d’origine. Ce dont on peut être sûr c’est que sur le 45 tours les violons sont accordés un ton en-dessous (fa-do-sol-ré) pour s’adapter à la cabrette, qu’ils jouent en do avec un doigté de ré et que les bourrées sont exécutées au tempo de 82 à la mesure.
En solfège comme en technique de violon, Meilhac a été principalement autodidacte. Il est à ce sujet très étonnant de constater les grandes difficultés qu’il a parfois éprouvées à retranscrire un répertoire qu’il jouait par ailleurs avec une telle virtuosité. Il retrouve aisément les hauteurs des notes mais il est souvent désarçonné par l’écriture du rythme.
Voici, ainsi, sa retranscription de « La Courbiase », notée en sol. Tout est décalé. Il n’a pas su repérer les anacrouses et les appuis.
Michel Meilhac parlait mal l’occitan, semble-t-il. Une enfance passée en partie à Fontenay-le-Comte puis un parcours très itinérant, le mettant au contact de dialectes différents de celui de sa famille, lui ont peut-être plus ou moins fait oublier la langue de sa jeunesse. Il n’a cependant pas hésité à inclure dans ses enregistrements des dialogues, des petites histoires ou des présentations en « patois ». Quelques écrits qui nous sont restés montrent une certaine connaissance de la graphie félibréenne. Berthe, l’épouse de son frère René, avait été nommée institutrice, dans les années 1930, à Chameyrat où elle avait eu pour collègue, on le sait, Raymond Buche, grand spécialiste de la langue limousine. Il était devenu un ami et René avait alors pris des cours de langue d’oc par correspondance.
Les chansons de la mère de Michel et René semblent avoir été, par ailleurs, très majoritairement en français. C’est un phénomène qui n’a rien d’exceptionnel. Dès le XIXe siècle, de grands collecteurs, tels Jérôme Bugeaud en Vendée ou Achille Millien en Nivernais, ont observé que si les contes se transmettaient en dialectes locaux dans les milieux ruraux qu’ils parcouraient, les chansons, elles, étaient presque toujours en français même lorsque les chanteurs étaient très peu francophones dans leur vie quotidienne. En revanche, les airs à danser sont, eux, plus fréquemment en langues vernaculaires.
Les violoneux âgés que nous avons rencontrés dans les années 1970 et 1980 nous ont très souvent dit que leurs aînés, ceux de la génération qui les avait précédés, étaient beaucoup plus « forts » qu’eux. Le jeu de ces musiciens de légende, les « Rempart », « Picard », ou en Auvergne proche, Foucault, Rivet (…), qui ont su adapter rapidement leurs techniques et répertoires aux goûts de leurs contemporains, n’aurait-il pas peu ou prou revécu sous les doigts virtuoses de Michel Meilhac ?
© Françoise Étay, Michel Meilhac, un violoneux à part, éd. ÉNC, juin 2022, ISBN 979-10-96831-03-6